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Cinq lectures pour comprendre... L'utilisation de caméras corporelles par la police

Objet

Le 26 juillet 2013, les agents du Service de police de la Ville de Montréal (SPVM) se présentent à un logement du 4634 rue Saint-Denis. À leur arrivée les policiers trouvent un travailleur de 70 ans en situation de crise. L’homme tient des propos suicidaires. Il est armé d’un couteau. Il saigne au thorax et son chien a des plaies faites à l’arme blanche. La tension monte. Un policier fait feu. L’homme est atteint au bas du corps. Deux semaines plus tard il meurt de complications.

Dans son rapport du 6 avril 2015, le coroner Paul G. Dionne critique le travail d’enquête des policiers. Il écrit que les rapports produits contiennent trop peu d’information. Comme il y a eu mort d’homme à la suite d’une intervention policière, la Sûreté du Québec a été mandatée pour enquêter de façon indépendante[1]. Le coroner écrit que les agents du SPVM avaient donc peu d’intérêt pour étudier plus à fond les éléments dont il avait pourtant besoin pour faire son travail. Il recommande que les policiers soient munis de caméras corporelles lorsque ceux-ci participent à une intervention et pour aider à en éclaircir les circonstances : « [l’enquêteur] trouve inestimable un bon vidéo et bien souvent complète plus rapidement son enquête. […] À l’occasion, le coroner peut élaborer des recommandations à partir de ces éléments vidéo ».

En mai 2016, le Service de police de la ville de Montréal lance un projet pilote sur l’utilisation des caméras corporelles. La documentation Internet publiée par le SPVM mentionne que le ministère de la Sécurité publique reconnaît l’importance et la solidité du projet et qu’il a nommé officiellement le SPVM « porteur du projet pilote provincial ».

Les syndicats de policiers, autant à Québec qu’à Montréal ou à la Sûreté du Québec ont réclamé l’utilisation de caméras corporelles notamment dans le contexte où les vidéos de citoyens sur les interventions policières se multiplient. Les caméras soulèvent cependant des questions quant au droit des citoyens à la protection de leur vie privée.

Les cinq lectures pour comprendre

1 /  Commissariat à la protection de la vie privée du Canada, Document d’orientation pour l’utilisation de caméras corporelles par les organismes chargés de voir au respect de la loi, 2015, 14 p.

Le Commissariat à la protection de la vie privéedu Canada[2] note que les caméras corporelles utilisées par de nombreux services de police en Amérique du Nord sont beaucoup plus perfectionnées que les caméras de surveillance fixes employées à l’intérieur ou à l’extérieur de bâtiments. De façon générale, les nouvelles « technologies de surveillance », y compris les caméras corporelles, permettent de recueillir une quantité de renseignements personnels toujours plus grande. Par ailleurs, les fonctions d’enregistrement de données ne sont plus limitées aux seules images. Elles s’étendent aussi aux sons. Enfin, d’autres outils technologiques dont la reconnaissance faciale ou la reconnaissance des plaques d’immatriculation[3] peuvent être employés de façon complémentaire.

Les services de police et les organismes publics chargés de l’application de la loi, doivent être attentifs par rapport aux implications juridiques de l’utilisation de caméras corporelles, non seulement en regard de lois comme la Loi sur l’accès aux documents des organismes publics et sur la protection des renseignements personnels du Québec mais aussi par rapport aux chartes des droits et libertés, au Code criminel du Canada et au Code civil du Québec.

Lors de la publication du présent document d’orientation, le président de la Commission d’accès à l’information du Québec s’est exprimé de la façon qui suit.

[La] Commission ne saurait trop insister sur l’importance pour tous les organismes chargés de voir au respect de la loi qui envisagent d’utiliser ces caméras, d’évaluer d’abord les répercussions sur la protection des renseignements personnels des citoyens et les invite à prendre des mesures propres à prévenir ou à atténuer ces impacts[4].

Dans ce document d’orientation, on recommande de mettre en place un projet pilote avant toute décision de recourir à plus long terme aux caméras corporelles. Cette première étape permettra entre autres de prendre en considération les aspects qui concernent les interactions entre la police et les minorités ethnoculturelles. De plus, les organismes d’application de la loi et les services de police pourront se pencher sur l’emploi des caméras à des fins de formation ou encore d’évaluation de rendement des agents de la paix.

Certains policiers font part de leurs craintes quant à une utilisation des caméras qui permettrait au personnel cadre de scruter leurs moindres faits et gestes ou de se livrer à une « partie de pêche ». Les deux auteurs dont les textes sont présentés immédiatement ci-dessous (MM. Cloutier et Fiset) font également écho à ce type de craintes. Le deuxième de ces auteurs souhaite que les services de police se servent des bandes vidéo uniquement dans le cadre d’une enquête à la suite d’une plainte formelle. Quant au Commissariat à la vie privée, il rappelle que les caméras servent généralement à recueillir des éléments de preuve et à protéger les agents contre des allégations non fondées.

Le Commissariat croit que les utilisateurs de caméras corporelles vont privilégier le filmage intermittent plutôt que continu. Des critères stricts sur la mise en marche ou l’extinction de la caméra devront être définis. Il faudra que ces critères tiennent compte de la nécessité d’enregistrer le moins possible les simples passants et les individus non ciblés par la police. Enfin, les policiers et les autres agents d’exécution de la loi devront avoir l’obligation d’aviser les citoyens que des caméras sont utilisées.

2 /  Maurice Cloutier, « Les caméras corporelles et la police. Réflexions sur l’attrait des images », dans Jacques Painchaud (dir.), Chroniques du Sommet interdisciplinaire de la force, Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2015, p. 261-283.

Dans son introduction, l’auteur rappelle la notion du lien de confiance à maintenir entre la population et les corps policiers. La préservation de ce lien est une condition essentielle au bon exercice du métier de policier. Plus loin dans le texte, l’auteur évoque le contexte des États-Unis, où les décès de citoyens de race noire liés à l’emploi d’armes à feu par la police a conduit la Maison-Blanche et les maires de plusieurs grandes villes à considérer que les caméras corporelles pouvait constituer une solution pour améliorer le lien de confiance entre la police et la population.

Aux États-Unis et au Canada, la plupart des politiques sur l’utilisation de caméras corporelles prévoient que celles-ci sont mises en fonction dès qu’un patrouilleur répond à un appel ou lorsqu’il utilise ses différents pouvoirs d’arrestation, de fouille, d’interpellation routière, de poursuite, ou de prise de déclarations. Ces politiques ou directives définissent aussi des situations où il n’y a pas lieu d’utiliser une caméra.

Certaines recherches semblent montrer que les caméras corporelles conduisent à une baisse du nombre de plaintes de citoyens – et plus particulièrement des plaintes frivoles à l’encontre de policiers, du nombre d’agressions commises sur les policiers et de l’utilisation de la force par ceux-ci. Les caméras aident aussi à déterminer si une infraction a été commise. Cela peut conduire à une augmentation du nombre de plaidoyers de culpabilité. L’auteur conclut en prenant partie pour la réalisation d’évaluations indépendantes et scientifiques en parallèle avec la réalisation de tout projet pilote.

3 /  André  Fiset, « La caméra corporelle : cinq conditions sine qua non », dans Jacques Painchaud (dir.), Chroniques du Sommet interdisciplinaire de la force, Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2015, p. 235-260.

Selon l’opinion de l’auteur, un consensus existe au sein de la société civile et dans la presse écrite, tant aux États-Unis que dans l’ensemble canadien, sur la nécessité de munir les policiers-patrouilleurs d’une caméra corporelle.

Aux États-Unis, l’American Civil Liberties Union a recommandé que les services de police qui décident de doter leurs patrouilleurs d’une caméra corporelle rendent obligatoire son utilisation dès qu’il y a interaction entre un agent et le public. De façon opposée, André Fiset ne croit pas qu’il est souhaitable d’obliger les policiers à filmer toutes leurs interactions avec les citoyens[5]. Les agents de la paix devraient donc pouvoir utiliser leur jugement et avoir la discrétion de ne pas utiliser l’appareil.

Par souci pour la protection de la vie privée, l’auteur s’oppose également à la diffusion dans les médias d’images captées par des caméras corporelles. Par ailleurs, il croit que les agents de la paix qui font l’objet d’une enquête en rapport avec une intervention policière au cours de laquelle une personne est décédée ou a subi des blessures graves devraient avoir accès aux images des caméras avant l’enquête. Il souhaite aussi que les services qui mènent les enquêtes disciplinaires utilisent ces mêmes images uniquement lorsqu’ils ont été saisis d’une plainte formelle. Enfin, bien que l’auteur se montre favorable aux caméras corporelles il rappelle en conclusion que ces appareils présentent des limites – pour filmer un combat corps à corps ou pour filmer durant la nuit, sans compter leur caractère directionnel. Ces limites doivent être bien comprises par les autorités policières et disciplinaires lorsqu’ils évaluent la qualité des images produites.

4 /  Rémi Boivin, La police devrait-elle diffuser les images filmées par ses caméras corporelles? Université de Montréal, Centre international de criminologie comparée, 2 février 2016.

Le conférencier est d’avis que les caméras corporelles permettent d’évaluer la qualité des interventions policières et de « rétablir les faits » quant au travail accompli par les agents de la paix, lors d’une enquête sur une intervention policière[6]. Les caméras ont aussi un effet positif pour la sécurité à la fois des citoyens et des policiers. De plus, elles améliorent la transparence de l’action policière. Ces facteurs militent en faveur de leur utilisation.

Quant à la diffusion publique d’images qui ont été prises avec des caméras, des recherches tendent à montrer qu’elles influencent négativement l’opinion publique à l’égard de l’utilisation de la force mais non du degré de satisfaction de la population envers la police.

D’après le conférencier, un certain biais perceptuel défavorable à l’action policière existe chez les personnes qui ont la formation requise pour analyser le travail policier. Enfin, bien qu’il se montre plutôt favorable à la diffusion de vidéos prises à l’aide de caméras corporelles – contrairement à l’auteur du troisième texte ci-dessus, Rémi Boivin croit qu’une telle décision va plutôt conduire la population à surestimer l’inconduite policière.

5 /  Service de police de la Ville de Montréal, Projet pilote de caméras portatives pour les policiers.

Le Service de police de la Ville de Montréal a mené ce projet pilote entre mai 2016 et février 2017. Le projet comprenait deux phases dont la première a été réalisée d’une part, par le module de la circulation de la division sud du SPVM et d’autre part, par les agents de la section du métro. La seconde phase, durant l’automne 2016 et jusqu’en février 2017, a été confiée à des policiers de trois postes de quartier (Plateau-Mont-Royal, Montréal-Nord et Lachine). Contrairement à la première, cette étape permettait de filmer des interventions dans des lieux privés.

Dans le cadre du projet pilote, l’utilisation de caméras portatives se fait lors d’entretiens avec des particuliers à des fins d’enquête et lors d’interventions policières en situation d’urgence. Cette deuxième situation se présente notamment quand un policier poursuit quelqu’un ou lorsqu’une personne est exposée à des lésions corporelles ou à la mort. Elle se présente aussi quand un policier a des motifs raisonnables de croire que des éléments de preuve relatifs à la perpétration d’un acte criminel se trouvent dans un lieu privé et qu’il est nécessaire d’entrer à cet endroit pour éviter la perte de ces éléments de preuve ou leur destruction.

Les règles du projet pilote prévoient l’utilisation généralisée de la caméra dans les cas d’une enquête ou d’une urgence. Certes, le policier doit tenir compte de la réaction d’une victime ou d’un témoin lorsqu’il l’avise qu’un enregistrement est en cours. Si l’agent constate un malaise ou un refus de répondre, il peut suspendre l’utilisation de l’appareil ou dévier l’objectif de la caméra. Exceptionnellement, le policier peut donc arrêter la caméra. Le cas échéant il doit justifier son choix dans un bref enregistrement.

Le SPVM déposera un rapport d’analyse du projet aux membres de la Commission sur la sécurité publique de la Ville de Montréal au début de l’année 2018. La Commission mènera une consultation publique sur ce sujet en 2018.

Et cinq autres lectures (pour aller plus loin)

1 / Rémi Boivin, Annie Gendron, Camille Faubert, Bruno Poulin, “The malleability of attitudes towards the police : immediate effects of the viewing of police use of force videos”, Police Practice and Research, 31 Aug 2016,

DOI: 10.1080/15614263.2016.1230063.

2 / Jay Stanley, Police Body-Mounted Cameras : with Right Policies in Place, a Win For All, New York, American Civil Liberties Union, 2015, 9 p.

3 / Barak Ariel, William A. Farrar, Alex Sutherland, “The Effect of Body-Worn Cameras on use of Force and Citizen’s Complaints Against the Police: A Randomized Controlled Trial”, Journal of Quantitative Criminology, vol. 31, no 3, sept. 2015, p. 509-535.

4 / Police Encounters with People in Crisis. An Independent Review Conducted by the Honourable Frank Iacobucci for Chief of Police William Blair, Toronto Police Service, July 2014, p. 254-264.

5 / James Nathan, Can Body Worn Cameras serve as a deterrent to Police Misconduct?, Washington D.C., Library of Congress, Congressional Research Service, August 2014, 2 p.


Préparé par André Grenier, Service de la recherche, novembre 2017.



[1] Depuis juin 2016, ce type d’enquête relève du Bureau des enquêtes indépendantes.

[2] Le document présenté ici a été élaboré en collaboration avec la Commission d’accès à l’information du Québec et les organismes correspondants de l’Alberta et du Nouveau-Brunswick.

[3] Le Commissariat recommande que l’utilisation combinée des enregistrements de caméras et de méthodes comme la reconnaissance faciale se fasse au cas par cas et dans des situations très limitées.

[4] Commissariat à la protection de la vie privée, « Les organismes chargés de voir au respect de la loi sont fortement encouragés à tenir compte du respect de la vie privée et de la protection des renseignements personnels avant de se doter de caméras corporelles », 18 février 2015, https://www.priv.gc.ca/fr/nouvelles-du-commissariat/nouvelles-et-annonces/2015/nr-c_150218/

[5] Dans le cas où un service de police autorise ses membres à éteindre en certaines circonstances la caméra qu’ils portent, ces derniers doivent avoir l’obligation de justifier leur choix. L’adoption d’une telle règle obligera le service de police à former ses agents sur les situations où l’interruption de l’appareil est appropriée. Certes, l’auteur relève que l’omission de filmer un échange soulèvera de nombreuses questions de la part des procureurs, advenant le dépôt d’une poursuite.

[6] Le conférencier relève que la plupart des services de police exigent que les caméras soient actionnées dès le début d’une intervention.

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