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Cinq lectures pour comprendre...

Les sondages en période électorale

Objet

Le premier sondage sur les intentions de vote au Québec fut réalisé en 1959 par le Groupe de recherche sociale et pour le compte du PLQ. Il s’agissait d’une enquête de nature privée et dont les résultats n’étaient pas destinés à la publication. À compter des élections générales de 1970, un autre type d’enquête s’est développé, les sondages commandités par les médias. La plupart du temps, ces enquêtes, plus nombreuses avec le temps, ont annoncé avec justesse le parti qui remporterait la majorité des voix et des sièges, sauf en 1998 et en 2007 (sans oublier le référendum de 1980). Certains aspects ont suscité des controverses, dont l’argument selon lequel les médias mettent l’accent sur les résultats tirés des sondages au détriment de la couverture des questions de fond.

Au tournant des années 1990, la question de limiter la publication des sondages en période électorale ou d’imposer aux médias des règles sur la diffusion de la méthodologie des sondages a été discutée à l’échelle canadienne, dans le cadre d’une commission d’enquête (commission Lortie). Le Parlement fédéral a d’ailleurs imposé certaines exigences en 1993 et en 2000. On ne trouve pas de normes à ce sujet dans la Loi électorale du Québec.

Les cinq lectures suivantes donnent un aperçu du débat entourant les avantages et les inconvénients des sondages électoraux et de leur publication. Les cinq autres lectures permettront au lecteur intéressé d’approfondir la question.

Les cinq lectures pour comprendre

1 /  Gingras, Anne-Marie, « Les sondages et la fabrique de l’opinion », Réjean Pelletier et Manon Tremblay (dir.), Le Parlementarisme canadien, 5éd., Québec, Presses de l’Université Laval, 2013, p. 319-324.

L’auteure reconnaît la prééminence d’une vision selon laquelle les sondages d’opinion en démocratie libérale ont eux-mêmes acquis une valeur démocratique. D’après cette perspective, les sondages sont intimement liés à la notion « d’opinion publique », comprise comme ce que pense le peuple. Les sondages permettent justement de révéler l’opinion de la population. Toutefois, cohabite avec cette vision une théorie selon laquelle l’opinion publique ne représente qu’un « référent imaginaire, idéal et utopique [1] », qui sert à légitimer des actions politiques : « […] cette perspective se fonde sur la critique des sondages et sur l’idée que le contrôle de l’opinion publique – la soi-disant opinion majoritaire – permet de promouvoir certains enjeux politiques, économiques et sociaux ». Suivant cette vision, les différentes étapes de réalisation et de publication du sondage sont colorées par la défense de certains intérêts.

Trois problèmes importants persistent sur l’utilisation des sondages comme moyens de révéler l’opinion majoritaire de la population. Premièrement, les sondages comportent des difficultés méthodologiques, dont la distribution des personnes indécises. Deuxièmement, les sondages n’ont pas tous le même intérêt. Ainsi, l’auteure indique que les enquêtes effectuées à la veille d’une élection ont une plus grande valeur que ceux qui traitent de questions délicates telles que les relations interculturelles et les rapports entre les hommes et les femmes puisque ces derniers sont peu susceptibles de produire des réponses véridiques. Troisièmement, l’auteure souligne que les questions des sondages correspondent aux préoccupations d’une élite et ne tiennent pas compte des différences d’intérêts et de connaissances des participants, issus de groupes variés.

En définitive, les techniques d’enquête sont suffisamment sophistiquées pour permettre à certains « agents sociaux » (commanditaires, maisons de sondages, médias, politologues, conseillers en communication, etc.) de fabriquer en partie l’opinion publique et d’exercer en conséquence une influence politique.

2 /  Durand, Claire, « Les sondages et l’élection québécoise de 2012 », Frédérick Bastien, Éric Bélanger et François Gélineau (dir.), Les Québécois aux urnes : les partis, les médias et les citoyens en campagne, Presses de l’Université de Montréal, 2013, p. 163-173 (Collection Paramètres).

L’auteure souligne que les sondages électoraux s’accompagnent de biais systématiques qui requièrent l’utilisation de calculs de correction pour obtenir des prévisions fiables. Dès 1970, et jusqu’à aujourd’hui, on a souvent constaté une sous-estimation du PLQ dans les sondages. Ce phénomène a aussi touché l’ADQ, lors de l’élection de 2007 et le PQ en 2008. Le biais est plus ou moins fort selon les élections. Il est plus fort lorsque le PQ prend le pouvoir, comme en 2012 [2].

À compter du référendum de 1995, les firmes de sondages et les médias ont commencé à répartir de façon non proportionnelle le vote des indécis entre les différents partis ou options politiques, pour donner aux sondages une meilleure valeur prédictive. Les sondeurs ont souvent utilisé une répartition des « électeurs discrets [3] », de 50 % pour le PLQ, de 25 % pour le PQ et de 25 % pour la CAQ (ou l’ADQ).

Claire Durand évoque de façon brève certains moyens pour bonifier la méthodologie des sondages, soit une meilleure prise en compte des caractéristiques des électeurs discrets, l’utilisation des numéros de téléphone cellulaire dans les sondages téléphoniques, la mise en place d’outils pour obtenir des échantillons probabilistes dans les sondages par Internet et une meilleure estimation du vote des électeurs non francophones.

3 /  Pétry, François, et Frédérick Bastien, « Follow the Pollsters: Inaccuracies in Media Coverage of the Horse-Race during the 2008 Canadian Election », Revue canadienne de science politique, vol. 46, n1, mars 2013, p. 1-26.

Selon Bastien et Pétry, la prolifération des sondages commandités par les médias transforme les campagnes électorales en une course hippique (horse race), durant laquelle les journalistes mettent l’accent sur la performance des candidats dans les sondages au détriment de la couverture des questions de fond. De plus, la question se pose à savoir si les firmes de sondage et les artisans des médias analysent de manière adéquate les données recueillies.

Les résultats de cette recherche montrent que les journalistes au Canada comprennent mal la notion de marge d’erreur et qu’ils tendent à se fier aux rapports produits par les maisons de sondages. Or, ces mêmes publications comportent fréquemment une interprétation erronée de la marge d’erreur.

Les inexactitudes dans les rapports de sondages et dans les reportages télédiffusés ou les articles de journaux affectent parfois la valeur des prévisions du résultat des élections. De plus, elles donnent une crédibilité à l’argument selon lequel la couverture médiatique des sondages électoraux trompe davantage l’électeur qu’elle ne l’informe.

Les auteurs sont donc favorables à l’amélioration de la formation des employés des maisons de sondages, des journalistes et des étudiants en science politique et en communication. Cette solution est susceptible d’aider au renforcement de la précision des analyses tirées des sondages mieux que le renforcement de la Loi électorale. Néanmoins, la voie législative demeure une option à considérer pour contrer le choix de certains sondeurs de diffuser des conclusions qui sont parfois volontairement biaisées.

4 /  Matthews, J. Scott, Mark Pickup et Fred Cutler, « The Mediated Horse Race. Campaign Polls and Poll Reporting », Revue canadienne de science politique, vol. 45, n2, juin 2012, p. 261-287.

Comme les précédents, mais de façon plus nuancée, les auteurs de cet article estiment que les élections au Canada sont dominées par le « journalisme de course » (horse race journalism). Ils relèvent que les citoyens s’attendent à ce que les journalistes réalisent une couverture et une interprétation des sondages en période électorale : « [citizens], for their part, generally do not want to hear politicians’ messages unfiltered by the media ». Le suivi exercé par les journalistes peut d’ailleurs comprendre la présentation à la fois d’éléments du contexte du sondage, des analyses sur les chefs et de certains choix stratégiques faits par les politiciens.

Matthews, Pickup et Cutler présentent ensuite une analyse de contenu des articles qui ont été publiés par le Globe and Mail et le National Post durant la campagne fédérale de 2006. Ils concluent que les articles de presse les plus longs [4], qui portent sur des sondages électoraux « significatifs [5] », comportent également un contenu que les auteurs qualifient « de fond », tels que des analyses sur les enjeux de la campagne et sur les qualités des candidats. Les auteurs sont d’avis que ce type de journalisme peut s’avérer riche d’enseignement pour les électeurs. Certes, cette recherche est limitée à une seule élection. Il y aurait donc intérêt à en étendre la portée à plusieurs campagnes.

5 /  Lemieux, Vincent et François Pétry, Les sondages et la démocratie, 2éd., Québec, Presses de l’Université Laval, 2010, 206 p. (Collection Prisme).

Lemieux et Pétry affirment que les sondages pendant les campagnes électorales tendent à corriger les déséquilibres entre les différents partis politiques et qu’ils constituent un frein à la puissance des grandes formations politiques.

Ils examinent l’importance de trois phénomènes : le vote stratégique [6], l’effet de contagion (bandwagon effect[7] et l’effet du perdant (underdog effect[8]. Ces trois facteurs et les sondages eux-mêmes auraient généralement une portée limitée (et surestimée) sur le vote des citoyens, sauf dans le cas où le vote est très divisé. L’effet de contagion et surtout le vote stratégique peuvent en outre influencer le résultat d’une élection s’ils se combinent à d’autres effets comme la démoralisation des sympathisants du parti qui est donné perdant dans les sondages.

Les auteurs rejettent la position théorique selon laquelle les sondages constituent une cause du déclin de la participation électorale. Par contre, ils considèrent que les sondages n’aident pas non plus à augmenter cette participation.

Lemieux et Pétry rappellent enfin que l’article 322.1 de la Loi électorale du Canada, dans sa version de 1993, interdisait la publication de sondages durant les trois dernières journées d’une campagne électorale, et ce, jusqu’à la fermeture des bureaux de vote. Cette modification a fait suite à une recommandation de la Commission royale sur la réforme électorale et le financement des partis politiques. En 1998, la Cour suprême a cependant jugé dans une décision partagée à cinq contre trois (Thompson Newspapers [9]) que cette disposition contrevenait au principe de la liberté d’expression et qu’il s’agissait d’une restriction injustifiable. La Cour s’est toutefois montrée favorable à l’obligation pour les maisons de sondages de diffuser leur méthodologie. En 2000, le législateur canadien a limité l’interdiction de publier des sondages à la seule journée du scrutin. Il a également introduit dans la loi l’obligation de fournir six informations sur la méthodologie des sondages électoraux dont la mention du libellé des questions et du nombre de personnes interrogées.

Les auteurs considèrent que l’assouplissement législatif à propos de l’interdiction de publier est une bonne chose. Ils constatent cependant que les dispositions sur la diffusion de la méthodologie des sondages ne sont pas toutes respectées par les médias.

Dans un texte publié en 2009 Anne-Marie Gingras a exprimé une opinion nettement plus critique sur les effets de l’arrêt Thompson Newspapers :

La décision majoritaire de la Cour suprême met aussi en lumière le hiatus entre les sciences sociales et les décisions judiciaires. Il est maintenant largement reconnu dans les sciences sociales que les sondages peuvent être des outils de légitimation et ne correspondent pas toujours à l’opinion des gens. Cette perspective n’a pas été retenue par les cinq juges majoritaires de la Cour suprême. Nous croyons que les efforts mis à entretenir le mythe des sondages comme représentant de la volonté populaire ont porté fruit [10].

Et cinq autres lectures (pour aller plus loin)

1 / Gingras, Anne-Marie, « L’opinion publique et les sondages comme outils de gestion publique », Anne-Marie Gingras, Médias et démocratie. Le grand malentendu, 3éd., Québec, Presses de l’Université du Québec, 2009, p. 167-205.

2 / Cayrol, Roland, Opinions, sondages et démocratie, 2éd., Paris, Presses de la Fondation nationale des sciences politiques, 2011, 146 p. (Collection Bibliothèque du citoyen).

3 / Brochot,Vanessa, « Le sondage d’opinion : attribut de la démocratie ou manipulation de l’opinion », Pouvoirs, 2013/2 n145, p. 141-154.

4 / Aalberg,Toril et Peter van Aelst, « Who is Afraid of Preelection Polls? How Perceptions of Polls Influence Support for Polling Regulations among Elites », International Journal of Public Opinion Research, vol. 26, n4, 2014, p. 517-526.

5 / Hardmeier, Sybille, « The Effets of Published Polls on Citizens », Wolfgang Donsbash et Michael Traugott (dir.), The Sage Handbook on Public Opinion Research, Londres, Sage Publications, 2008, p. 504-514.

 

Préparé par André Grenier, Service de la recherche, mars 2017



[1] Ces mots sont de Patrick Champagne, Faire l’opinion : le nouveau jeu politique, Paris, Éditions de Minuit, 1990.

[2] L’auteure mentionne comme facteur explicatif de ce biais le fait que les victoires péquistes sont plus serrées que les victoires libérales. En effet, dans le premier cas, l’écart en faveur du parti vainqueur est d’environ 3 % en comparaison à une marge de 5 % ou plus dans le deuxième cas. D’autres facteurs sont la présence d’un climat de l’opinion publique exacerbé et d’une marge d’erreur dans les sondages portée à son maximum dans les campagnes où le PQ remporte l’élection. Durand avance aussi comme hypothèses l’ambivalence des Québécois et une « spirale du silence » qui pousserait certains électeurs à taire leur opinion quand ils estiment que le climat général de l’opinion publique est hostile à leur point de vue.

[3] Claire Durand préfère le concept d’électeur discret à celui d’indécis.

[4] Les articles de l’échantillon comptent entre 105 et 4225 mots (avec une moyenne de 698 mots).

[5] Ces sondages montrent un important écart entre les partis.

[6] À la suite de la publication d’un sondage, des électeurs choisissent d’appuyer un parti qui n’est pas leur premier choix pour empêcher l’élection d’un autre parti.

[7] Certains électeurs modifient leurs préférences et votent en faveur du candidat qui est en avance.

[8] Certains électeurs donnent leur vote au parti qui tire de l’arrière dans les sondages.

[9] Thompson Newspapers c. Procureur général du Canada [1998] 1 RCS 877.

[10] Anne-Marie-Gingras,« L’opinion publique et les sondages comme outils de gestion publique », Anne-Marie Gingras, Médias et démocratie. Le grand malentendu, 3e éd., Québec, Presses de l’Université du Québec, 2009, p. 204.

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